L'expédition

En m’approchant petit à petit de la rue de Créqui, je sentais le sol vibrer sous mes pieds. De loin on pouvait distinguer une certaine agitation. De la fumée m’empêchait de voir distinctement ce qui se passait, mais les cris de la foule ne trompaient pas : une barricade avait été dressée et en m’approchant, je compris que la majorité des gens présents l’étaient depuis un petit bout de temps. Certains étaient armés de tromblons, d’autres de fourches. Un petit groupe de débrouillards avaient construit une catapulte et s’apprêtaient à détruire la façade de l’édifice. Dans un recoin, des personnes plus âgées, plus stoïques, avaient manifestement pris le parti d’attendre.

Après des heures à hurler sur des tunisiens innocents, j’avais pris l’initiative d’aller à la rencontre de l’ennemi, afin de connaître son vrai visage. Je m’étais préparé physiquement afin de pouvoir, en cas de coup dur, me battre à mains nues.

J’avais été bien naïf de croire être le seul à avoir cette envie d’affrontement concret, nous étions en fait des milliers, la rage au ventre, à vouloir crier notre haine.

Bon, vous l’aurez compris, l’agence Numericable de la rue de Créqui ne désemplit pas de clients en ayant marre de « debwancher et webwancher leu modém ». Les gens sont, à force, tout comme moi devenus hystériques.

Certains caressent l’espoir de pouvoir dialoguer avec de vrais gens, d’autres apportent leur matériel qu’ils croient défectueux. Mais tous ont un point commun : ils ont perdu la foi.

En souscrivant récemment à l’option 30 megas, Gwen et moi avons en début de mois prolonger notre durée d’engagement de 1 an. Trop tard. La résiliation est impossible.

Et depuis ça merde. Le soir, plus d’Internet. Le service client délocalisé ne comprend rien à rien. Il y a trop de queue à l’agence pour juste tenter de parler à un commercial sans question précise.

Les moments précieux où notre connexion marche, je vais les passer à me renseigner sur la fabrication de bombes artisanales.