9 août 2008

Mais arrête, y'a pas de In !


“Oh arrête, tu es vraiment dédaigneux quand tu dis ça !...”


Voilà ce que l’on me dit lorsque je reprend les gens qui emploient l’expression “in” pour parler du festival d’Avignon et le distinguer ainsi du festival off.

Or, j’aime à préciser le fait que dire “le in” n’a aucun sens puisqu’il n’y a qu’un festival à Avignon, le Off n’étant quant à lui tout sauf un festival.

Cela ne veut pas dire que les spectacles sont forcément bien d’un côté et mauvais de l’autre, cela ne relève pas d’un jugement de valeurs, mais bel et bien d’une réelle différenciation entre deux modes de fonctionnement que l’on distingue de plus en plus nettement et qui, je dois bien le dire, m’attriste de plus en plus car cette évolution est malheureusement significative de l’état du spectacle vivant en France.
Bon, pour ceux qui ne suivent pas bien :

“le in”, c’est le Festival d’Avignon, une structure unique qui propose chaque année une programmation composée de créations et de spectacles accueillis et dont l’agencement est sensée constituer une proposition construite par une direction épaulée depuis quelques années par un ou deux artistes associés, différents à chaque édition (R.Castelluci et V.Dréville ont succédé à T.Ostermeier, Y.Fabre ou J.Nadj. Pour l’anecdote sachez que pour 2009 il s’agira de W.Mouawad). Les spectacles se déroulent dans une grosse vingtaine de lieux atypiques, de l’emblématique Cour d’honneur à la surréaliste carrière de Boulbon en passant par des cloitres (Célestins, Carmes), des gymnases, des cours de lycée et même le théâtre municipal.
Ce festival de théâtre fait partie des plus importants à l’échelle européenne et existe depuis plus de 60 ans.

“le Off”, c’est tout le reste. C’est à dire que la présence de nombreux spectateurs et professionnels durant ces fameuses 3 semaines de juillet ont donné il y a une vingtaine d’années l’idée à des théâtre avignonnais de proposer eux aussi une programmation en marge du festival.
Petit à petit, le Off est devenu un véritable marché du théâtre, puis du spectacle vivant en général, ou les programmateurs ont la possibilité de voir tout au long de la journée le travail de nombreuses compagnies.
Les représentations dans le off ayant lieu de nos jours à tout moment de la journée, la programmation d’une salle est divisée en créneaux horaires dans lesquels se succèdent les troupes. Ces créneaux comprennent la durée de représentation précédée d’un court montage et suivie d’un démontage.
Le système économique qui en découle est finalement très simple. Le propriétaire d’un lieu va louer à chaque compagnie le créneau horaire, et se constituer ainsi une programmation sur une journée de festival. Il peut ainsi y avoir jusqu’à 9 levers de rideau par jour dans un même théâtre.

On est bel et bien dans la logique de marché du théâtre et non pas d’accueil ou le lieu choisit et achète un spectacle. C’est la notion capitale pour comprendre ce qu’est le Off.
Dans cette histoire, c’est la compagnie qui sort le pognon dans le but de présenter son travail, de se faire connaître et de vendre des représentations pour les saisons à venir, la plupart du temps sans garantie solide de retour sur investissement...

Pour que le spectateur s’y retrouve, une association propose un guide de tous ces spectacles, le fameux programme du Off, appelé couramment le bottin au vu de son épaisseur grandissante d’années en années. Les compagnies paient leur adhésion pour figurer dans cet imprimé qui répertorie les spectacles par lieux, par auteurs, par horaires, par compagnies et que l’on trouve sous le bras de chaque festivalier.
Aucune entité ne maîtrise donc le contenu du Off. Le Off n’est pas un festival mais un regroupement de programmations aux motivations diverses. Si tout cela reste consigné dans un document de type programme, aucune direction artistique ne chapeaute ce marché qui, en bon marché qu’il est, s’adapte, lentement mais sûrement, à la dure loi de l’offre et de la demande...

Les directeurs de salle et de gros lieux du Off brassent des sommes rondelettes, le prix d’un créneau horaire pouvant facilement dépasser la dizaine de milliers d’euros. L’opération est risquée pour une compagnie qui doit loger son personnel le temps du festival, le défrayer, le rémunérer (ou pas), payer la communication, affiches, tracts, dossiers, tout cela sans être sur d’avoir des spectateurs, d’avoir des pros et de vendre au final suffisamment de dates pour amortir tout ce bazar.
Beaucoup d’espoirs sont portés par ces troupes qui choisissent pour la plupart de mettre tous leurs oeufs dans le même panier pour vendre un spectacle, et avant tout jouer, voir tout simplement exister.
En effet, il semblerait depuis quelques années que le Off regorge de spectacles qui, tout simplement, n’ont pas vraiment d’autres endroits pour jouer !
Le rapport de force est évident : les artistes mangent dans la main des directeurs de salle.

On peut donc tenter de distinguer plusieurs “catégories” de lieux du Off :

les théâtre avignonnais : des théâtres existants à l’année, qui ne relèvent pas forcément du système économique que je viens de décrire, avec des coproductions ou des co-réalisations prolongeant finalement le travail effectué à l’année.

les lieux traditionnels, au fonctionnement basique de location de créneaux, plus ou moins regardants sur le contenu et la qualité des spectacles proposés, du meilleur comme du pire.

les collectivités : dans la logique de marché du spectacle, certaines régions investissent dans des lieux pour présenter au reste de la France une sélection de compagnies qu’elles soutiennent en finançant en partie l’opération et en mutualisant les parties logistique, technique et surtout la communication.

les gros lieux : véritables usines à gaz du Off, ces complexes composés de plusieurs salles se sont développés et proposent d’épaisses programmations comprenant jusqu’à 30 créneaux par jour.

les boites à rire, à la progression spectaculaire ces dernières années, relevant entièrement de productions privées et spécialisées dans les spectacles comiques de bas étage. Ce sont eux qui ont compris comment se faire du pognion dans le Off en remplissant les salles à l’aise blaise, en testant de nouveaux ou d’anciens comiques et en nous étonnant chaque année avec des titres de plus en plus édifiants. Le modèle économique du Off (le lieu loue le créneau à la compagnie) est ici remplacé par une gestion rationnelle comprenant l’opération dans sa globalité, une sorte de package lieu + spectacles présentés.

Le visage du Off dépend donc de tellement de facteurs et d’une telle quantité d’artistes, de producteurs, de lieux qu’on peut presque dire qu’il y a des enseignements à tirer de son évolution.

Je persiste à dire que le Off est quelque part un peu représentatif de l’état du spectacle vivant en France.
Des artistes vendraient père et mère pour jouer devant un public qui déserte les salles ou il ne veut pas (plus ?) prendre le risque de s’ennuyer.
Pendant ce temps, de malins producteurs sachant qu’il est tellement simple de tirer vers le bas, proposent ce que les gens attendent, voir pire. De nouveaux comiques sont lancés, plus ou moins talentueux, des spectacles de plus en plus faibles sont présentés et les gens s’en contentent.
Je précise que je ne suis pas en train de dire qu’un spectacle divertissant est forcément inintéressant et pourri, mais qu’il est lamentable de voir que des productions parient sur le fait que les gens se contentent de peu. Alors vous me direz bien sûr que ce n’est pas nouveau...

...Cela correspond tout de même à une époque ou la télévision investit de plus en plus dans le théâtre, plus précisément dans ce type de spectacle, après les étonnants scores d’audience de succès du privé retransmis cette saison sur des chaînes hertziennes au passages ravies de faire genre service public ou éducation populaire.
Les animateurs télé se lancent d’ailleurs sur les planches privées (de la bande à Ruquier à Arthur en passant par... Gérard Holtz) et attirent les foules dans les salles à Paris comme en province, avec des tarifs dont la seule justification se trouve dans le fait que les gens sont prêts à payer aussi cher pour voir des têtes connues.

Dans ce contexte ou les festivaliers viennent passer une journée en Avignon “pour voir”, ils disposent aujourd’hui d’un large choix parmi les spectacles drôles pour s’occuper entre une glace et un resto.
Et c’est finalement bien là le principal, quand on voit que cette année le Off, encouragé par les commerçants d’Avignon, a décidé de décaler ces dates par rapport au Festival, en tirant jusqu’au 2 août.
Or, depuis le 28 juillet, on n’a pas vu grand monde dans les rues, un petit air de 2003 ou, le Festival annulé, le Off ramait pour remplir les salles et les compagnies se tractaient entre elles dans les rues...

Cette affaire de décalage de dates montre s’il en était encore besoin la fragilité du Off et, mine de rien, sa dépendance par rapport au Festival.

La petite désaffection du public envers cette véritable foire peut également s’expliquer par le nombre croissant de spectacles en tous genres et la roulette russe que constitue pour le spectateur lambda le choix d’un spectacle.
Il n’est pas étonnant que dans un tel contexte ce soient les spectacles comiques fortement promus qui tirent leur épingle du jeu.

Les spectateurs passionnés de théâtre, échaudés par quelques années de Off effréné mais de plus en plus infructueux, assistent maintenant aux spectacles des compagnies dont ils connaissent le travail et s’en contentent.

Le salut du Off, si quelqu’un y tient encore, ne pourra à mon sens venir que d’initiatives de directeurs de salles soucieux de la qualité et de l'intérêt des spectacles qu’ils programment même si le système économique n’est pas celui de l’accueil.
Le Off ne peut qu'éclater en différents Offs de genres et d’exigences différentes pour satisfaire les producteurs comme les compagnies, aux objectifs et aux motivations si différentes.

L’oubli principal dans tout ce bazar reste bien entendu le spectateur, qui vit mal les accumulations d’entités de programmation : on se rappelle de l’infructueuse expérience d’Alfa, en 2004, ou certains lieux s’étaient regroupés pour éditer un autre programme : ne fonctionnerait-elle pas mieux dans le contexte de 2009 ?... La question mérite d’être posée tant le Off a changé de visage en 4 ans...

Pour la découverte de nouveaux horizons, aujourd’hui, le Festival fait lui encore ses preuves.
Bien entendu, tout cela est fragile mais un spectateur qui se saisit du programme du festival et qui va au Cloître St Louis récupérer ses places met le pied dans une expérience balisée par l’artiste associée et sa ligne choisie.
Les spectacles vus peuvent bien entendu rester critiquables ou non, mais ils sont à considérer dans un contexte, une programmation, et aspirent donc à exister en tant que maillon d’un projet artistique et non pas comme locataire d’espace scénique.
De là, toutes les discussions sur le fond sont permises !

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